Et donc tu as été en Inde ? Et qu’est-ce qui t’est arrivé en Inde ?
J’ai fait une expérience.
Quelle expérience ?
L’expérience de l’Inde.
Et en quoi ça consiste l’expérience de l’Inde ?
Elle consiste à faire l’expérience de ce qu’est l’Inde.
Et c’est quoi l’Inde ?
Comment je peux te le dire ? L’Inde c’est l’Inde.
Mais, imaginons que je ne sache vraiment pas ce qu’est l’Inde. Dis-moi, toi, ce qu’elle est.
Moi non plus je ne sais pas vraiment ce qu’est l’Inde. Je la sens, c’est tout. Toi aussi tu devrais la sentir.
Qu’est-ce que tu veux dire ?
Je veux dire que tu devrais sentir l’Inde comme on sent, dans le noir, la présence de quelqu’un qu’on ne voit pas, qui se tait, mais qui pourtant est là.
Je ne te comprends pas.
Tu devrais la sentir, là-bas, en Orient, au-delà de la Méditerranée, de l’Asie Mineure, de l’Arabie, de la Perse, de l’Afghanistan, là-bas entre la Mer Arabique et l’Océan Indien, qu’elle est là et qu’elle t’attend.
Elle m’attend pour faire quoi ?
Pour ne rien faire.
Encore une fois, je ne te comprends pas.
Ou bien, pour absolument ne rien faire.
C’est d’accord. Mais finalement tu ne m’as pas encore dit ce qu’est l’Inde.
L’Inde c’est l’Inde.
Alberto Moravia, « Une certaine idée de l’Inde »